Le sénateur Raymond Soucaret descend du train
Propos recueillis par LAURENT CRAMAREGEAS

9 mai 2000:

A 77 ans, Raymond Soucaret va rendre ses tabliers de sénateur, de conseiller général et peut-être de maire. L'un des derniers "dinosaures" de la politique lot-et-garonnaise feuillète trois décennies au service de la chose publique.
Dans le sous-sol, aménagé en bureau, de sa maison-entreprise, règne un désordre organisé. C'est l'antre de Raymond Soucaret, l'un des deux sénateurs du Lot-et-Garonne (l'autre est Jean François-Poncet), conseiller général et maire de Francescas, ancien agriculteur, entrepreneur de travaux agricoles. Au mur, un poster du XV de France, du SUA et des footeux de Lamontjoie. « Je rends les trois maillots d'un seul coup, ou pas loin ». Le coup d'envoi d'un match de deux heures avec ses souvenirs.

L'ÂGE
« Je suis "pilé" depuis deux ans », ironise-t-il en référence à l'intervention chirurgicale consécutive à un malaise cardiaque, en plein congrès du Sénat à Versailles, voilà deux ans. « Depuis, je me suis remis dans le sens de la marche. Mais, même si mon état de santé me permettait de prolonger la carrière, je n'ai plus le même "gnac" qu'avant, plus les mêmes réflexes, plus la même envie de me battre. A 77 ans, j'ai atteint et même dépassé la limite d'âge qui n'existe pourtant pas en politique ».

LE SÉNAT
« Pour moi, la caractéristique du Sénat c'est qu'on est seul face à des lois qui donnent parfois le vertige. Quand il a fallu s'exprimer sur l'abolition de la peine de mort, je peux vous dire que ça m'a fait quelque chose quand j'ai déposé mon bulletin dans l'urne. Toutes ces lois, je les ai votées en mon âme et conscience. Je n'étais pas un simple pion, comme j'en ai vus. Mes moyens intellectuels sont ce qu'ils sont, mais j'ai toujours été animé du souci de bien faire ».

LE CONSEIL GÉNÉRAL

« Trente-et-un an de mandat à Saint-Jacques, c'est un bail ! J'y ai connu quatre présidents : Bordeneuve, Andrieux, Brunet et François-Poncet, et je me suis investi dans une tâche qui m'a passionné : la sécurité routière. En milieu rural, un conseiller général, c'est un levier. Avant-hier, un jeune agriculteur du coin m'appelle : il me raconte que dans les fossés de la route Agen-Condom, c'est bourré de carottes sauvages qui risquent de se mélanger avec la semence des carottes agricoles. Je suis intervenu pour faire faucher le fossé. Voilà : le conseiller général de la campagne est plus efficace que celui de la ville ».

LA MAIRIE
« Je suis conseiller municipal depuis 1965 et maire depuis 1968. J'ai toujours été élu au premier tour et avec l'équipe complète, sans liste d'opposition. Ça s'est toujours bien passé, même si j'ai eu un premier adjoint communiste pendant douze ans. Je ne dis pas que je ferais le même choix aujourd'hui. A l'époque, on ne faisait pas de politique. Pour 2001, je ne sais pas. Autant ma décision est irrévocable pour le Sénat et le conseil général, autant je me demande si je ne vais pas devoir reprendre le manche à la mairie. Je crois même que je vais être obligé de le faire. Je prendrai ma décision à l'automne. »

LE RADICALISME
« Je suis carté depuis 1944 au Parti radical valoisien. C'est ça, le vrai radicalisme. J'en suis le président départemental depuis une vingtaine d'années; là aussi je vais rendre mon tablier. Au Sénat, j'appartiens au Rassemblement démocratique social eurospéen, l'ancien groupe de la gauche démocratique auquel j'ai toujours été fidèle. Je suis un vrai radical. Comme je dis souvent, l'herbe est courte quand un radical ne peut s'y accrocher ».

JEAN FRANÇOIS-PONCET
« Je suis l'ami de J.F.-P. depuis qu'il a pointé son nez en Lot-et-Garonne. C'est le Dr Esquirol, ancien maire d'Agen et natif de Francescas, qui me l'avait présenté. J.F.-P, il a beaucoup de qualités et les dents longues. Au Sénat, lui c'est l'intellectuel, moi l'autodidacte qui fait remonter les problèmes du terrain ».

LA RURALITE
« Je suis de la France profonde et j'en suis fier. J'ai un bon sens paysan, comme disent les Parisiens. Surtout, j'ai la chance de m'exprimer dans un terroir, dans le secteur de Francescas et Nérac, où nos agriculteurs ont accepté de se remettre en cause de façon permanente. Aucune autre génération que celle de 1940-2000 ne subira une évolution agricole aussi importante. Après la guerre, on était le coin du Lot-et-Garonne le plus en retard. Aujourd'hui, nos fruits et légumes de plein champ, nos portegraines de semence veulent dire quelque chose ».

LA FAMILLE

« Je suis marié à Andrée-Simone. Mais je l'appelle jamais par son prénom. Je l'appelle "maman". C'est la préposée à la distribution de carburant à la station-service. J'ai une fille, gérante de l'exploitation agricole d'où je suis retiré, et un petit-fils, gérant d'une jardinerie ».

SON ACCENT
« Mon accent rocailleux, il est reconnu très loin. Un jour, au temps des branchements de communication téléphoniques par fiches, j'appelle mon épouse depuis les Etats-Unis. Je tombe sur une standardiste qui me lance : "dites donc, vous n'êtes pas du Nord de la France, vous !". C'est un peu exagéré. Quand j'entends parler Gaudin ou mon collègue du Bas-Rhin, c'est pas mieux ! Par contre, à l'applaudimètre du Sénat, j'ai le pompon ! Mais je ne fais rien pour diminuer ou accentuer les "R". Comme je ne m'entends pas parler, je reste naturel... »

SA SUCCESSION
« J'ai quatre maires, tous des amis, qui ont manifesté leur intention d'être candidats aux cantonales sur Francescas. Il y a d'abord eu Christian Lussagnet, de Moncrabeau. Et puis Jean-Pierre Lussagnet, du Nomdieu. Et puis Alain Delprat, de Lamontjoie. Il est notaire, à Francescas. Un notaire, c'est comme un toubib, ça possède un pied dans toutes les maisons. Et enfin il y a Geneviève de Pourtalès, Mme le maire de Lasserre, qui m'a confié récemment : "je n'ai pas dit mon dernier mot". Avec les candidats de gauche, avouez que ça fait beaucoup de prétendants pour pas beaucoup d'électeurs. Moi qui ait
toujours été élu avec pas loin de 80 % des voix, je me demande s'il n'y aura pas un peu de dispersion ce coup ci...»