La mystérieuse origine des-noms de-lieux
Publié le 15/11/1998 (La Dépêche)
La semaine dernière, dans l'édition «Magazine du dimanche», nous avions pris le risque d'élucider l'origine des noms des communes de Lot-et-Garonne. Nous poursuivons aujourd'hui cette quête hasardeuse de notre passé patronymique.
L'étude des noms de lieux, comme celle des mots, du reste, est souvent riche d'enseignements.
Ainsi, Buzet-sur-Baïse est célèbre aujourd'hui grâce à ses ceps de vigne et surtout à son vin. Ce vignoble qui fait la gloire des coteaux garonnais n'est naturellement pas à l'origine du mot Buzet. Comme pour Boussès, Buzet vient de «buis», buxus en latin. Par déformation, cette région couverte de «sempervirens», petits arbres à feuilles vernissées et persistantes, est devenue Boussès ou Buzet.
En revanche, à Clermont, on enleva le buis, ce qui donna un mont «bien dégagé», clair en définitive. Et si le nôtre, celui proche de Port-Sainte-Marie, est «dessous» alors qu'il est en hauteur, c'est qu'il est en aval de la Garonne, par opposition à Clermont-Dessus, en Tarn-et- Garonne, qui est «dessus» puisque en amont. Mais quand il y a du buis, il y a toujours une source proche, c'est le cas à Fongrave. «Fon» ou «font» signifie fontaine ou source et «grave» veut dire sablonneux, gravillonneux. A Fongrave, il y avait donc une source au milieu de la grave.
Par analogie, Fonfrède signifie fontaine froide. Au Moyen Age, ces sources fraîches étaient fort prisées puisque M.-Frigidaire n'avait pas encore inventé sa machine à faire le froid (1).
Toujours dans le même ordre d'idées, Condesaygues vient à la fois du gascon «aygues» qui signifie «eaux» et de «condes» qui signifie claires, limpides. Et puisqu'il faut tordre le cou aux mauvaises interprétations, allons-y ! Récemment, dans une conversation mondaine et de salon chez des gens fort cultivés, un spécialiste de tout, aussi brillant que ses chaussures en daim, assura à ceux qui voulaient bien l'écouter que Castelculier portait ce joli nom en raison des sauteries infiniment grivoises qu'organisait le maître des lieux en des temps très reculés. On y jouait tellement à la bête à deux dos, assura le spécialiste, que le château du coin prit le nom de «château où l'on aime la fesse». L'histoire ne manque pas de piquant et, du reste, elle fit rire tout le monde, surtout les femmes qu'un excellent pétrus avait quelque peu émoustillées.
Las ! nous devons dire à ces dames que «culier» n'a aucune relation étymologique avec le fondement ou l'arrière-train. Ce mot de vieux français signifie «à la pointe». Autrement dit sur un pic. Ce qui n'est pas du tout la même chose. Castelculier est donc un château construit sur un pic. Ce qui ne veut pas dire que l'on ne s'y livrait pas à quelques galipettes farouches. Pourtant, ces joyeusetés éventuelles n'ont jamais donné leur nom au castel. Dommage ? Sans doute ! Plus intéressante peut-être est l'origine du nom de SaintNicolas-de-la-Balerme. On sait que l'empereur Constantin, en l'an 300 et quelques, tenta et réussit à faire disparaître l'antique paganisme de nos ancêtres les Celtes pour substituer à cette religion polythéiste le monothéisme chrétien. Les Celtes adoraient plusieurs dieux ou déesses dont une, Bélisame ou Bélisma, que l'on pourrait comparer à Minerve. Et, justement, l'endroit où l'on vouait un culte farouche à Bélisame, c'est à Saint-Nicolas. L'Eglise chrétienne, fine mouche, préféra substituer doucement le nouveau culte à l'ancien plutôt que de le faire disparaître. Ainsi, elle accola un saint local improbable, saint Nicolas, à la déesse du coin, Bélisma. Malin, le subterfuge, puisque les nouveaux chrétiens y trouvaient leur compte avec le saint et les anciens païens également avec leur déesse. Au fil du temps, Saint-Nicolas-de- Bélisma devint de la Balerme.
Dans un autre registre, certains noms de villages ont gardé le nom de leur fondateur romain ou gallo-romain. C'est le cas pour Layrac qui appartenait à un certain Alarius. Layrac était le domaine d'Alarius.
De même, Andiran, là où la Sainte-Vierge apparaît le 15 de chaque mois, sauf en août à cause des embouteillages sans doute, un certain Andrius édifia un domaine. A Aubiac, c'est son contemporain Abius. A Bourgougnague, on abandonne provisoirement les GalloRomains pour passer au peuple germain des Burgondes ou Burgondi. Le domaine des Burgondi devint Bourgougnague grâce à cette extraordinaire capacité qu'ont les peuples sudistes d'absorber les étrangers et de les gasconniser un max. Car il fallait quand même arriver à donner du Bougnagues aux teutons germanistes Burgundi ! Mézin était le domaine de Mettius et pas de Métellus comme voudrait le faire accroire Popaul Rouncats. Allemansdu-Dropt doit son nom à une autre tribu germanique, les Alamans. Casteljaloux est un château vandaloux, c'est-à-dire vandale. Pour sa part, Durance est la ville d'une peuplade de Thuringiens, tout comme Francescas est un territoire (escas correspond en gros à hectare) franc. Monflanquin possède, à peu de chose près, la même origine. Il s'agit d'un petit mont appartenant — qui a été conquis — à la troupe franque. «Franque», au fil du temps, donna «flanquin».
Monpouillan doit son nom au fait qu'il s'agit d'abord d'une colline, d'un mont, sur lequel un homme brun ou de peau très foncée («pullius» signifie brun ou tanné) édifia un castrum. L'étrange Tombebuf n'a rien à voir avec quelques bovidés. C'est à cet endroit que fut enterré un certain Acbodi.
La tombe d'Acbodi. Elle devint Tombebodi puis Tombebuf.
Parfois, il est bien difficile de donner une origine fiable d'autant qu'un même mot — ou partie de mot — peut vouloir dire deux choses contraires.
C'est le cas pour Caudecoste. Si l'on veut utiliser une signification gasconne, on va prendre le radical «cau» qui veut dire chaud en gascon. «Coste» étant une grimpette, on pourrait dire que Caudecoste est la côte qui donne chaud quand on la grimpe. Ce serait aller un peu vite en besogne et oublier que les Anglais ont habité ici (trop ?) longtemps. Caudecoste vient de «caldescott», mot anglais qui veut dire «escott», habitation, et «cald», kalt, froid. Caldescott est une maison ou habitation exposée à tous les vents et par conséquent très froide l'hiver. Le contraire de côte chaude ! Il en va de même pour Cauderoue. «Roue» vient de «roda» qui est une zone défrichée, déboisée, ce que l'on appelle en bon français un «essart». Cauderoue était donc une zone défrichée, par conséquent à tous les vents, dont froide en hiver.
Monbahus n'a pas de placard secret ni de bahut. L'ancien nom de ce village, au XIIIe-siècle, était Monbaux. «Baux» vient de «baussau» qui veut dire falaise. De même, Montpezat vient de Monspaxillatus.
Mont entouré d'une palissade construite avec des pieux. Montpezat était un castrum très protégé. Lafox est plus délicat.
L'origine anglaise, «fox», peut signifier pays des renards.
Mais, en vieux français, un fox est un passage étroit au milieu de la forêt. A vous de choisir ! Bruch est plus facile. Le mot vient de «bruyère». Bruch était, autrefois, le pays où la bruyère poussait comme lierre sur méchantes ruines.
L'amusante localité des Tricheries, sur la route de Cahors, doit son nom aux chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.
En ce lieu, jadis, il y avait un hôpital pour les pèlerins fatigués. Ils trouvaient ici gîte et couvert gratuits. Mais il fallait financer cette hospitalité. On installa donc un péage, une «estrise», qui imposait à tous ceux qui faisaient commerce entre Agen et Cahors de payer une redevance. Et l'estrise resta puis devint l'estriserie et les tricheries ! Pour terminer sur une note joyeuse, il est amusant de savoir que tous les Mauvezin de France doivent leur nom à leurs habitants qui étaient tous des mauvais voisins... Qu'on se le dise. —
[NOTE] ______ Frigidaire est un nom de marque. Pour parler convenable, comme disait Coluche, nous devons dire réfrigérateur.